Le Brigand

1994, 83 représentations

DISTRIBUTION
Texte de de Robert Walser
Adaptation Christiane Thébert – Mise en scène et costume Anne-Marie Delbart – Jeu Claude Thébert – Scénographie Gilles Lambert – Administration et production Claude Thébert – Photo © Isabelle Meister

UN BRIGAND BIEN SÉDUISANT 
Claude Thébert est un artisan de la solitude. Depuis les mois qu’il affronte à bouche nue des textes découverts en silence dans le creux des livres, qu’il s’entoure de décors minimalistes et astucieux; depuis ce temps, l’artiste déborde d’humanité. D’avoir pareillement escaladé la parole, par toutes ses faces, d’avoir enveloppé de verbe son public, d’avoir enfin dompté l’abondance littéraire en la rendant aussi fluide qu’une source, le comédien s’est fondu dans le flot humain par ces personnages choisis, qui se racontent dans la nuit.
Pont suspendu
Après les nouvelles d’Emanuelle Bove et un si dérisoire petit meuble à tiroirs l’an passé, le roman de Robert Walser emprunte cette année un pont suspendu pour aborder les rives de la Bâtie. Le brigand est ainsi livré à l’oreille et à l’oeil dans un minimum d’effets scéniques (signés Anne-Marie Delbart) qu’un frêle passerelle en fer achève d’alléger, de fragiliser. Le texte, adapté pour le planches par Christiane Berner, long, complexe, tortueux et imagé, est ainsi dégraissé de sa lourdeur déclamatoire par le simple fait que Thébert joue comme en appesanteur, sur un sol mobile, entre deux mondes. Jeudi, à l’Alhambar, son chapeau vissé sur le crâne, dégaine de clochard nanti, le geste généreux et le regard pointu, il a campé sur son pont un bien séduisant marginal. Heureux et facétieux personnage dont la profondeur et l’acidité des propos égratignaient en douceur un spectateur qu’on sent aimé, traité en complice.
La vie est possible
Du talent, Claude Thébert en regorge. Même si le geste parfois devient emprunté, si l’attitude se répète à peine dans la déjà-vu. Des petits systèmes d’acteur livré au vide de la solitude, à la répétition obligatoire de sentiments illustrés. Mais que l’articulation est claire, naturelle. Que le mémoire est forte qui jamais ne se fait sentir. Qu’enfin le visage, si mobile, et le corps, si ordinaire, libèrent dénergie et d’expression!
Un solo comme celui-là, simple et fort, prouve bien qu’en théâtre, la vie aussi est possible quand on la laisse devenir le spectacle d’elle-même. Et Claude Thébert l’a compris mieux que personne… 
Sylvie Bonier, La Tribune de Genève, 31 août 1995

CLAUDE THÉBERT RACONTE ROBERT WALSER 
Le comédien revient avec dans ses malles Le brigand, romand publié posthume de l’écrivain Robert Walser.
La servante est cette petite lampe qui reste allumée quand le théâtre est plongé dans le noir, déserté entre deux représentations ou répétitions. Régulière, permanente, c’est elle qui veille lorsqu’il n’y a plus personne. On pourrait que Claude Thébert est au festival de la Bâtie ce que la servante est au théâtre. C’est une image, pas tout à fait exacte – nous ne lui souhaitons évidemment pas de jouer face à des salles désertées – mais qui rend même faiblement, un peu de sa luminosité si particulière. Comme la servante, Claude Thébert est petit; sur son visage buriné, illuminé de deux yeux bleus, peuvent se lire ou s’imaginer toutes sortes d’histoires pour enfants. Ou est-ce lui qui se serait échappé d’un livre d’images? Comme la servante, Claude Thébert aime à être là, à veiller, ou plutôt à jouer, même si les autres ne sont pas forcément là pour ça.
Ainsi, chaque jour à midi, pendant toute la durée du festival, il lit au Café Oblomov les Cent et un récits écrits par des gens de Sarajevo. Assis à une petite table bleue, il prête sa voix à Momcilo, Marko, Nermina ou Helena pour que leur histoire soit entendue par-delà la distance qui nous sépare d’eux. Ils sont adultes ou adolescents, simples citoyens qui vivent l’enfer de la ville assiégée. Un jour, les journalistes de Radio Zid, une radio indépendante, les ont approchés et leur ont demandé décrire une histoire, en manière de résistance face à la folie, face à la mort. Ces récits sont diffusés régulièrement par Radio Zid. Ils parlent de tout ce dont les journaux ne parlent pas, ou si peu. Ils permettre d’approcher des êtres dans leur quotidien tragique, qu’ils racontent pourtant souvent avec humour, l’humour de l’espoir malgré tout. Surtout, ils permettent de mieux comprendre ce qui se passe, qui sont les personnes en présence, comment les uns traitent les autre, comment les autres réagissent et survivent. Vision de l’intérieur, immédiate, sincère, elle parle directement: il faut l’entendre.
Un petit homme peu ordinaire
De cette régularité obstinée, de ce poste fixe de lecteur qui veille sur le monde, Claude Thébert rebondit sur une autre façon de transmettre ses histoires. En termes techniques, la servante est une baladeuse, donc faite pour être déplacée sur scène. De même, Claude Thébert conçoit la ville (ou serait-ce le monde?) comme une scène naturelle où il se déplace infatigablement à la recherche d’un nouveau lieu incongru où planter son décor. Hier soir, il était au parc des Bastions, ce soir il sera aux Bains des Pâquis. Espérant qu’on le suive, ou qu’on le découvre par hasard, en passant.
Alors, si vous croisez un petit homme vêtu d’un chapeau mou-trois-pièces-gilet pas tout à fait en ordre avec ses poches retournées et sa bedaine qui dépasse mais réhaussé d’un soupçon de romantisme – l’oeillet rouge à la boutonnière – ne vous étonnez pas: c’est lui. Il va bientôt bondir et vous interpeller tel, à l’époque, le bonimenteur des places publiques. Mais lui n’a rien à vous vendre – pas même son spectacle dont l’entrée est libre. Il veut juste, le temps d’une très courte heure, vous faire partager son amour pour l’univers encore oh! combien moderne et désarçonnant de Robert Walser. Donc il raconte le roman le plus décontenançant, retrouvé dans ses «microgrammes» après sa mort.
Etait-il fini, avait-il déjà toute sa structure? On n’en sait rien et on ne peut que suivre la narrateur dans son histoire racontée de façon extrêmement sautillante et malicieuse, qui se passe de toute explication terre à terre. Il y a le brigand, la narrateur, Edith, Wanda et les autres: la chronologie, voire les identités se mêlent. Claude Thébert ne le démêle pas. Il rebondit tel un lutin d’un personnage à l’autre, transmettant avec grâce et générosité ces moments de vie mis côte à côte de façon presque cubiste, et rendant les tremblements et l’émotion de l’écriture. Il s’arrête trop tôt, on souhetrait rester là, à le regarder arpenter son arche de pont vermoulue et à l’écouter dévider les fils des destins croisés imaginés par l’écrivain qui se fit rattrapper par sa fiction. Comme l’un de ses héros, il s’endormit d’un sommeil éternel dans les neiges, un jour de Noël…
Sandrine Fabbri, Journal de Genève & Gazette de Lausanne, septembre 1995

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