George Haldas: un itinéraire

2001, 14 représentations dans 14 villages entre Genève et Morges. Déplacement à pied en tirant le chariot-décor

Photo © Marie-Pierre Theubet

DISTRIBUTION
Mise en scène, jeu et costume Claude Thébert – Scénographie Gilles Lambert – Administration et production Claude Thébert – Photo © Dorothée Thébert

ROLLE / PÉRIPLE PÉDESTRE ET LITTÉRAIRE
Les coteaux malmènent les muscles de Claude Thébert
A trois jours de marche de Morges, le comédien prend conscience du côté physique de l’écriture de Haldas. Au propre comme au figuré.
Rolle. Jeudi matin. Il ne désire pas encore tirer un bilan de cette aventure. La chute du film n’est pas encore tombée. Le sens de l’histoire encore incertain. Mais les dix jours de marche et de lecture sont déjà gravés dans les muscles de Claude Thébert. «Physiquement, c’est dur», admet l’acteur-lecteur-marcheur, parti le lundi 28 août de Genève pour rallier Morges à pied. En effet, le décor qui constitue son attelage tiré à bras pèse quelque 120 kilogrammes. «C’est un choix de ne pas suivre le littoral, mais si de l’exposition des coteaux découle le bon vin, les montées sont pénibles pour le dos. Les descentes pour les cuisses…»
Une manière de se retrouver au coeur de la relation
A chacune des étapes quotidiennes, les lectures tirées de l’oeuvre de Georges Haldas ont déplacé une trentaine d’auditeurs au minimum. «A Nyon, on a accueilli quatre-vingt personnes», annonce Anne Terry, de la Librairie du Pavé. «Georges Haldas était lui-même ému par cette lecture.» Mais qu’est-ce qui déplace les foules? Cette démarche à contre-courant, sans doute. «Plus on se meut à un rythme naturel, plus vite est possible la relation avec l’autre» constate Claude Thébert. Et de livrer: «la marche et la lecture sont des excellents prétextes à la relation». Les réactions et les commentaires à l’issue de ces moments de partages traduisent l’attachement du public pour Georges Haldas: «en parlant des gens qu’il côtoie, l’écrivain décrit la vie de chacun», explique encore Claude Thébert, qui rejoint aujourd’hui Bougy-Villars. Quelques réflexions à chaud? «Il y a dix jours que je marche et je vois toujours le jet d’eau de Genève!» ou encore: «la ville, pour les gens jusqu’à Begnins, c’est Genève. A partir de Bursins, c’est Lausanne. N’y aurait-il pas une correspondance entre la géologie du lieu et l’esprit des gens qui y habitent?» La question reste ouverte… Il semblerait que les bisons qui jouxtent Cointrin aient même fait la haie d’honneur au drôle d’attelage.
Isabelle Dufour, La Côte, 8 septembre 2000

CLAUDE THÉBERT CHEMINE SUR LES TEXTES DE HALDAS 
Périple / Le comédien colporte l’écrivain jusqu’à Morges, en quatorze étapes
Mais qu’estce qui le pousse ainsi sur les routes? A le voir tirer sa charrette, ahanant sous la charge, on peut se demander si Claude Thébert est bien raisonnable. Pourquoi se rendre à Morges pareillement chargé, et en s’arrêtant quatorze fois en route? Pour le comédien, il n’y a rien là de bien surprenant: la charrette abrite un décor escamotable, les étapes hors des sentiers battus servent à lire des textes de Georges Haldas, et la marche, une évidence.
Le comédien s’est donc glissé dans la peau d’un camelot pour colporter, de bibliothèque en bistrot et en château, les textes de l’écrivain genevois. «Haldas est un rôdeur et moi aussi. Il a développé une forme d’écriture qui me fascine par sa régularité, sa continuité et sa quotidienneté. Quand j’ai eu envie de lire ses textes en public, l’idée de le faire lors d’une marche s’est imposée. Car la marche implique une certaine lenteur, une persévérance. Elle permet des rencontres, des relations humaines, un thème cher à Haldas. D’ailleurs, quand je lui ai parlé de ce projet de parcours pédestre et littéraire, il m’a tout simplement dit: «Vous avez tout compris!»
Choix libre
Claude Thébert s’est longuement préparé pour ce périple. Pas tant au niveau physique, car l’homme est un grand arpenteur. Il s’est surtout imprégné de l’oeuvre. Pendant plus de trois mois, il a lu six à sept heures par jour, jusqu’ à 52 ouvrages. L’écrivain lui ayant laissé toute lattitude pour faire son choix, Thébert a fait une première sélection, équivalent tout de même à trente-cinq heures de lecture. Il a ensuite procédé à des coupes successives pour arriver à vingt, puis finalement à quatorze heures. Que le public se rassure, le comédien ne pratique pas la lecture marathonienne. Chaque jour, il lira une petite heure, et chaque fois, les textes seront différents.
A Versoix, où il a fait étape au Café Cartier, la soirée s’est prolongé fort tard. «Les gens adorent qu’on leur lise des textes. Et j’adore que ces lectures provoquent des discussions autour de l’écrit, discussion qui partent rapidemment sur le sens de la vie. la soirée dure alors le temps que les gens présents en ont envie, et je ressors parfois un bouquin…»
Décor escamotable
Chaque jour, Claude Thébert marche entre cinq et dix kilomètres, musardant comme bon lui semble. Lorsqu’il arrive à bon port, le comédien campe le décor. Il déplie alors cette charrette, spécialement conçue par le scénographe Gilles Lambert. Elle se transforme en une petite estrade accueillant un coin de bistrot, avec chaise, table et rideau finement brodé à l’arrière. Tout ceci pèse lourd. Plus de 100 kilos. Car la bête abrite encore dans ses entrailles les livres de Haldas et les affaires du comédien. «Je commence à détester la table de bistrot, plus particulièremen son pied en fonte, qui doit bien peser 30 kilos à lui tout seul», soupire théâtralement le marcheur.
Avant de reprendre sa route, Claude Thébert s’amuse devant son chargement à roues. «Je ne sais pas au-devant de quelles aventures je vais. A plat, ça va à peu près, quand ça monte, c’est impossible, et quand ça descend, ça devient dangereux…» Heureusement, de nombreuses personnes croisées en chemin lui donnent un coup de main lorsqu’une petite côte se présente, ou lui font le salut de l’amitié. D’autres le renseignent sur l’itinéraire à prendre lorsqu’il est perdu. Car ce grand dévoreur de livres ne sait pas lire une carte de géographie.
Françoise Nydegger, La Tribune de Genève, 2 septembre 2000

HAUT DE LA PAGE